Insomnia

Une ruelle sombre et une impasse avec un mur que je ne peux pas surmonter. Je fais la gueule, comment j’ai pu me laisser prendre au piège comme ça. Bon ok, trois chasseurs de vampires embauchés pour me faire la peau, ils ont du être informé de pas mal de choses sur moi. Ils se sont servis d’un de mes indics pour me mettre dans un endroit ou je ne pourrais pas facilement leur échapper. La ruelle est si étroite que je ne peux même pas ouvrir mes ailes. J’ai déjà des balles en bois dans l’épaule et à la jambe, donc me déplacer à vitesse vampirique ce n’est pas pour tout de suite.

Je leur grogne dessus pendant qu’ils ricanent. C’est celui du milieu qui me fait le plus peur. Il a un lance-flammes. Je ne tiendrai pas très longtemps avec un truc de cette taille. Si ça monte aux oreilles de Gabi, de Lestat ou même de Jason, ils sont déjà morts sans le savoir. KITT est coincé, il ne peut pas m’aider, et le temps que les renforts n’arrivent je risque d’être un tas de cendres fumantes.

Mais l’inexplicable et l’incroyable se produit. Une ombre que je ne parviens pas tout de suite à discerner se met devant moi et en quelques secondes, les trois chasseurs sont démembrés, baignant dans leur sang, laissant des marques de sang sur les murs, les bennes et un peu sur moi. Je tombe à genoux. Ok, là ça vaut les films d’horreur. J’entends alors un ricanement sinistre ou un grognement. Ok, lui ce n’est pas un copain ! J’enlève la balle en bois dans ma jambe et dans mon épaule en gémissant, tandis que la créature se repait de ce qu’il reste des chasseurs. Et soudain il se retourne, avec un regard qui m’a littéralement gelé sur place. Il me faut pourtant quelques minutes pour reconnaître la créature, défiguré par le sang et le sadisme évident dont il venait de faire preuve.

Je me mets à trembler, n’arrivant pas à faire preuve de raison. Non… Je ne peux pas croire ce que mes yeux me montrent, et pourtant, il y a une voix en moi qui hurle. Qui me hurle le nom du « Perdu » Mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter…

- Ka… Kaël ?

Mon cerveau n’arrive toujours pas à croire ce que je viens de dire, mais mon cœur, blessé, brisé, lui, il sait.

- Kaël… C’est moi… Sorcha… Ta sœur…

Je ne parviens pas à arrêter les tremblements. Je tends doucement mes bras vers lui…

Après un tel spectacle, j’ai du mal à rassembler mes émotions et ma raison ensembles. Mes mains sont tendues vers un boucher qui vient pourtant de me sauver la vie. Ce boucher, qui était pourtant si innocent autrefois, il s’en voulait tellement de tuer pour se nourrir, il culpabilisait. A l’époque il n’était pas prêt à être une bête… Mais là…

Il me demande comment je l’ai appelé. Sa voix, c’est la sienne, mais je peine à la reconnaître, elle sonne, comme une menace. Il semble être comme figé à ma vue. Que va-t-il faire ? M’a-t-il reconnu, ou va-t-il tenter de me mettre dans le même état que les chasseurs ? Mais je le vois, je vois son regard, quelque chose d’enterré si profondément, et si lointain que je peine à me dire que c’est bien lui. Il est devenu tellement fort, et tellement… Obscur…

Il begaie mon nom, comme si quelque chose, au plus profond de lui, avait fait écho à mon nom. Quelque chose d’ancien, d’oublié… Notre lien, si pur, si fort, si indéfectible.

- Kaël Ithredd Seghaïn… Je sais qui tu es, bien sûr… Oui je t’ai appelé… J’ai tellement espéré cet instant…

Je me redresse doucement. Toujours les mains tendus vers lui. Il essuie son visage maculé de sang. Honnêtement, le sang qui nous entoure est le cadet de mes soucis. Je repense à ce qu’Uriel m’a dit. Et s’il avait été enfermé quelque part ? Ou si au contraire il avait agi librement, mais suffisamment discrètement pour ne pas éveiller les forces de l’ordre ? Et si… Apparaître détendu, regardant la caméra de surveillance avec un tel air de défi, le même jour que ma mission dans cette ville… J’ai également tellement de questions… Mais il est telle une bête, éblouie par des phares de voiture et en doute. Effarouché, je ne peux pas le brutaliser, lui faire peur, ou risquer de déclencher un autre accès sanglant.

- Sorcha Ceridwen Seghaïn… C’est moi Kael… Je suis ta sœur… Et je t’ai enfin retrouvé…

Ma main atterrit comme une plume sur sa joue, comme si c’était naturel, comme si ça devait se produire.

Elle, devant moi..
Elle, réelle. Ou bien est-ce un piège de mon imagination ? Mon coté humain qui veut me piéger. Qui veut me ramener à la «  raison ». Qui veut endormir la Vérité.

Une chose est sûre, je ne le laisserai pas faire. Je commence à montrer les crocs, prêt à faire une quatrième victime ce soir, lorsque sa main se pose sur mon visage. D’une manière douce, un peu tremblante, mais douce. Ce n’est pas mon coté humain, ce n’est pas une manipulation, ce n’est pas une supercherie. C’est elle. Sorcha. Devant moi. Bien réelle. Que lui voulaient ces gens ?
Je me retourne doucement vers ce qu’il reste d’eux pour les analyser. Je me tourne ensuite vers elle, de manière assez lente pour ne pas qu’elle retire sa main. C’est alors que je le vois.
Elle est blessée. Ce sont eux … Ce sont eux qui ont osé poser leurs armes, leurs regards, leur attention sur elle. Ils ont de la chance d’être déjà morts. Sinon, ils auraient souffert pour l’éternité. Et au-delà. Je baisse les yeux vers le sol, tandis qu’un grognement de colère m’échappe. Je lève mes yeux vers elle. Toujours aussi belle, toujours aussi … Sorcha. Le destin a voulu qu’après des siècles de recherche, je lui sauve par hasard la vie. Après l’avoir ressuscitée. D’une voix sombre, les yeux pleins de colère, mais envers ces … erreurs de la nature, je braque mon regard en plein dans les yeux de Sorcha.

- Ils t’ont … blessé, à ce que je vois. Il y en a d’autres ? Où ? Montre-les moi. Tous.

Aucun ne s’en sortira.

Plus je la regarde, moins la colère se lit dans mes yeux. Elle fait place à de l’incompréhension, de la perte de repère mais également, et cela ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps, un sentiment de calme. Un sentiment de paix. Oserais-je dire de joie ? Oui, je dois bien l’admettre lorsque je sens un sourire se dessiner sur mes fines lèvres. Je ferme mes yeux et incline ma tête davantage sur sa main, profitant de la caresse que m’offre sa peau. Cette caresse que j’avais perdue depuis des siècles et des siècles. Ma Sorcha. De nouveau là. Plus jamais je ne te perdrai, petite sœur. Et gare à ceux qui se mettront en travers de notre route, de notre destinée, de notre Vérité.

- Je … Tu … Tu es bien là … chuchote-je, tout en continuant à profiter de sa peau, les yeux fermés.

Je pose ma main sur la sienne, doucement et tendrement. Ce n’est peut être qu’un rêve, créé par mon esprit. Si c’est le cas, je tuerai quiconque osera essayer de me réveiller.

Le temps vient de s’arrêter. D’un coup. Il n’y a plus que lui et moi, moi et lui, personne d’autre. Le monde n’existe plus, rien n’existe si ce n’est nous deux en cet instant. Son grognement de rage ne fait qu’amener ma seconde main sur son autre joue. Je cherche son regard, quelque chose que je reconnaîtrai dans ce regard. Mais pour l’instant, la colère, la rage l’habite et l’empli. Je n’ai pas peur, bien au contraire, quiconque viendrait en cet instant. KITT l’a compris d’ailleurs, il s’est tut et éloigné à une rue parallèle. Quand sa rage s’exprime je caresse d’avantage sa joue et je perds une main dans ses cheveux.

- Chuut… Chuuut… C’est fini… Ils sont morts… Je ne risque rien… Tout va bien…

En réalité, je risquais régulièrement ma vie, quand ce n’était pas au cours d’une mission, c’était au cours d’un combat contre les Forces du Mal. ET mon propre sang semble avoir rejoint ce côté sombre, destructeur…. Criminel. Mais je ne veux pas y penser pour le moment.

Alors que mes yeux retournent se planter dans les siens, ils changent progressivement. Les barrières semblent tomber, quelque chose se passe. Le retour à un calme éphémère, je le sais bien, mais la tempête sanglante semblait entrevoir quelques instants de soleil. Je le regarde incliner sa tête doucement contre ma main et poser sa main sur la mienne. Je souris, toujours autant larmoyante et émue de ce qui est en train de se passer. Il ferme les yeux. Je souris d’avantage…

- Oui… Oui je suis bien là… Enfin…Après tout ce temps… Nous sommes enfin réunis…

Doucement, je commence à me blottir contre lui, ma main toujours sur sa joue, tandis que mon autre main rejoint son torse sur lequel je me blottis tendrement, recherchant son contact, sa protection, une sécurité absolue que je n’avais pas connue depuis des années, voire même des siècles.

- Ca va aller maintenant, nous sommes ensembles… Tout va bien… tout ira bien…

Je sens ma sœur se blottir contre moi. Je ferme tout de suite mes bras autour d’elle, tel un bouclier protecteur. Tel le rand frère protecteur de retour, et qui ne partira plus jamais. Pourquoi ai-je pris ce bateau, pourquoi l’ai-je quittée … Quelque chose au fond de moi ne cesse de me répéter que c’était un sacrifice nécessaire car si je n’avais pas pris ce bateau, si j’étais resté auprès de ma chère sœur, jamais je n’aurais pu découvrir la Vérité.

Cette fois ci, la quitter fut un mal pour un bien, en définitive. Mais jamais plus je ne partirai loin d’elle. Je serai son ombre protectrice dans la nuit. Loin de moi l’idée qu’elle ne sache pas se défendre par elle même. Mais elle a ces limités. Ces «  lois ». Cette «  humanité », cette compassion. Ces choses qui la bloqueraient dans certaines situations. Et moi, j’ai la Vérité. Rien d’autre. Aucune barrière, aucune limite. Elle aura besoin de cela. Et de son grand frère.
Elle me dit qu’ils sont tous morts, mais ce genre de vermine, c’est un parasite. Ca ne cesse d’augmenter, ça ne cesse de venir t’envahir. Il y en a et en aura toujours. Quoi que l’on fasse. Pourquoi ne me dit-elle pas la vérité ? A t-elle … Peur ?

Je me recule un peu pour pouvoir observer les traits de son visage. Ses yeux, son regard aimant.

- Oui, tout ira bien. Je suis là pour veiller sur toi. Ton frère est revenu, et plus jamais il ne partira. Lui souris-je. Que faisais-tu dans cette ruelle ? Si je ne t’avais pas reconnu ….

Je soupire à l’idée de ce qui aurait pu arriver. Elle serait morte, parmi ces tas de membres. Je me ressaisis et poursuis.

- Qui étaient ces types ? Qu’es-tu devenu, ma chère Sorcha ? Dis-moi tout. Je veux tout savoir. Lui dis-je d’une voix douce et rocailleuse.

Ma chère Sorcha, qu’est ce que ce monde t’a fait ? Qu’as tu vécu ? Où sera ma place dans ta vie ?

Je ne ressens pas une absolue sécurité facilement. Il n’y a qu’à ce jour deux endroits. En cet instant dans les bras de mon cher grand frère que j’ai enfin retrouvé, et dans les bras de Kal-El. Je soupire et je me détends enfin. Même s’il y avait d’autres chasseurs, ces derniers mourraient dans d’atroces souffrances. Je sais que ce sera un travail de longue haleine de lui apprendre à choisir qui tuer et qui épargner, mais j’y arriverai, quitte à montrer les crocs. Même si sa violence est sans équivoque, je semble plus posée et plus stratège que lui. Peut-être que si la situation l’exigeait, j’arriverai à le mettre au sol. Mais l’endroit et le moment ne sont guères à ce genre de pensée.

Il me demanda alors ce que je faisais dans un tel endroit, seule, en pleine nuit. Il termine sa phrase en la laissant en suspens.

- Crois-tu que je t’aurai laissé me tuer bien sagement ? *je lui fais un clin d’œil* Tu es peut-être l’aîné, mais tu l’aurais senti… j’en suis convaincue… J’ai confiance en notre Lien.

Je souris et je l’embrasse sur le front.

- Quant à ce que je faisais là… J’ai voulu suivre une piste, mais cette piste était vérolée et fausse. Un plan de certains chasseurs de vampire payés par quelques huiles qui ont voulues me faire la peau car je mets à sac quelques uns de leur trafic…

Je souris, la douleur s’en va, je sens mes blessures disparaître avec le temps, mais vas falloir que je pioche dans ma réserve à la maison. Il me demande alors ce que je suis devenue, vécue, qu’il voulait tout savoir… Vaste question. J’allais devoir taire quelques détails pour la sécurité de mes amis, dont certains que j’avais été forcée d’engendrer.

- Vaste question… Pour la faire courte, j’ai pas mal baroudé aux quatre coins du pays, j’ai rencontré des gens merveilleux, d’autres beaucoup moins… Je suis tombée amoureuse, j’ai perdu… Et je crois que j’ai finalement trouvé ma place, ici, à Los Angeles. D’autant plus que maintenant, après quatre siècles et quelques de quête, j’ai finalement retrouvé la pièce manquante à mon bonheur… Toi, cher frère…

En toute honnêteté, je ne sentais pas la combine, j’avais un mauvais pressentiment. Quand je le vois aller sur le toit et je sais qu’il guette quelque chose ou quelqu’un, je sais déjà que je ne vais pas forcément apprécier.

Si ma crainte se révèle exacte, il faudra tout de même que je fasse bonne figure, et que j’accepte son présent. J’espère juste qu’il va piocher un clochard ou quelqu’un qui n’a plus de famille. Mais vu son mindset, je savais déjà qu’il prendrait n’importe qui, si jamais ce plan que j’imaginais allait se réaliser.

Et malheureusement, j’avais raison, quand il revient, il a une tête ensanglantée séparée de son corps et il me la tend par les cheveux. Elle a été coupée à hauteur de la jonction avec les épaules. Bah alors là, j’ai quelques instants de latence en essayant de réfréner un relent de dégoût. Il est vrai que moi aussi je me suis nourrie ainsi, mais j’évite de couper des têtes, sauf aux gens qui le méritent. Lui en revanche, il est en mode instincts primaires. S’il a fait ça pendant 450 ans, la réhabilitation ne pourra qu’être très partielle ou quasi inexistante.

Quand je me saisis de la tête de cette pauvre femme, mes mains tremblent. J’espère juste que Kael mettra ça sur la faiblesse. Je le remercie tendrement avec un léger sourire avant de me retourner, genre pour avoir mon intimité. J’ai une ou deux larmes qui coulent. Je fais une courte prière. Je lui ferme les yeux et je bois le sang jusqu’à la dernière goutte.

Je jette la tête dans la benne qui sur le coup de la force, se referme.  Je me redresse, c’est vrai que je me sens bien, mais je ne voulais pas faire cela ici, pas comme ça. Je m’essuie les lèvres et je dis.

- Changeons d’endroit… S’il te plaît… J’en ai assez de cette ruelle…

Deux mondes qui s'opposent. Deux univers, autrefois ensembles, désormais diamétralement opposés. Même Lestat n'était pas aussi violent. Du moins il choisissait ses proies selon ses goûts du moment... Deux, parfois trois par soir. Qu'es-tu devenu mon frère? Un monstre? Un boucher? Toi qui était si gentil, si tendre, si innocent? Je ne te reconnais pas et ça me fait mal, le fléau que tu es devenu car tu en as fait qu'à ta tête en partant de ton côté... Si on était resté ensembles, on aurait été les meilleurs, tu serais à mes côtés en tant que jeune héritier Miles. Aujourd'hui, je ne sais pas, je ne sais plus, comment puis-je t'aider à sortir de là? Meilleure question, comment le puis-je, ça fait si longtemps que tu es ainsi, des siècles...

Je vois ton trouble, ta tristesse, cette impression d'être perdue. Tu es mon frère, mon sang, mon jumeau, tu ne peux rien me cacher, même avec la meilleure des volontés. Je sais que c'est moi qui tourmente ton esprit qui était si sûr que tu avais choisi la bonne voie. Je sais ce que tu te demandes, du moins j'en suis presque sûre. Cette tourmente s'arrêtera-t-elle en me faisant taire? Ou sera-t-elle bien pire car tu auras tué tout ce qu'il te reste d'humain? Car oui mon frère, ce qui te tourmente c'est ton humanité qui se réveille doucement à mon contact. Et ça ne va pas aller en s'arrangeant, aussi fort tenteras-tu de la faire taire, et ébranlera crescendo, tout ce monde, ces certitudes que tu t'étais bâtis pour survivre dans un monde où tu es aveugle de la vie réelle.

Nous sortons de la ruelle, ma prise sur sa main est forte, je ne dois pas le lâcher de crainte qu'il tue un des passants, juste comme ça, pour le fun, pour la chasse. Car tu es devenu ainsi mon frère, tu ne tues pas pour te nourrir, mais pour jouer, le plaisir de la chasse, du meurtre, du sang. J'ai peur de ce que je devrais faire, si je n'arrive pas à modifier, ne serait-ce qu'un peu, cette orientation que tu as choisi. T'enfermer? Te tuer? Je prie les Dieux pour avoir assez de force, de patience et de ténacité pour ne pas en arriver là.