Insomnia

Comment vous dire que la situation au Lux avait quelque peu dégénérée? En tout cas, elle avait pris un tournant auquel Gabriel ne s’était pas préparé lorsqu’il avait accepté d’être le cavalier d’Irina. Mais les choses étaient de ce qu’elles étaient. C’est comme si le baiser qu’Irina lui avait offert en début de soirée avait suffit à briser toute la retenue que les deux coéquipiers s’étaient évertués à tenir jusqu’alors. Question de principe, question de professionnalisme. Et bien le professionnalisme était parti au champignon ce soir là, sur le territoire de Lucifer. Son établissement portrait si bien son nom que l’esprit du technopathe s’était perdu dans ses désirs pour la jolie vampire.

Sur le chemin de retour, à une heure déraisonnable, la tension avait été palpable dans la voiture. La main de l’ancien agent fédéral s’était perdue sur la cuisse de la demoiselle. Et une fois arrivé dans la vaste villa … Alors qu’ils s’étaient de nouveau perdu dans un langoureux baiser, ils avaient finalement décidé de rester sages, de ne pas franchir la limite.
Ca leur en avait certainement coûté à tous les deux. Et les heures, les jours qui suivirent, Gabriel ne cessait d’essayer de se persuader que c’était la meilleure des décisions. Mais le regret était là. Comme à son habitude, il guettait souvent le système de surveillance de la villa, puis de KIT, mais il savait pertinemment que ce n’était plus pour juste s’assurer de sa sécurité. Il avait l’impression de devenir complètement obsédé.

Aujourd’hui, ils allaient devoir partir en mission, rien que tous les deux. C’était la première fois depuis cette fameuse soirée qu’ils se retrouveraient uniquement tous les deux.
Gabriel se sentait perturbé, ce qui avait tendance à le rendre un peu grognon. Prêt de bonne heure, comme à son habitude, en jean délavé et sweat à capuche (car il ne faut pas s’attendre de lui qu’il passe toutes ses journées en costume), il en était déjà à sa seconde cigarette, attendant devant le garage.

Les pulsions. La seule chose que les humains connaissent de la part bestiale qu'ils ont laissé tomber lors de leur évolution. Nous autres, les créatures de la nuit, nous avons gardé ces pulsions, comme une part de notre vie, de notre métabolisme, et croyez-moi, il y en a certaines qui sont très difficiles à repousser.

Faisons un petit tour au passé. La soirée de Lucifer dans sa boîte. Tout était parti de mon désir de me débarrasser de ce vautour de Morningstar sur ma personne. J'avais donc embrassé, le jeune homme qui m'accompagnait, pour lequel j'avais tu pendant si longtemps des sentiments en sourdine, une certaine attirance, qui promettait d'être explosive si on la laissait parler, et on l'a laissé parlé. Et pas qu'un peu.

Sur le chemin du retour, la tension était palpable, même KITT l'avait remarqué après coup, en me faisant une remarque sur notre taux de phéromones qui étaient au-delà de la limite normale. Je l'ai juste remercié de ne pas l'avoir dit pendant la route. C'était déjà assez difficile de ne pas céder au désir qui ne faisait que grandir entre lui et moi.

Quoiqu'il en soit, et je ne sais toujours pas comment, nous sommes restés très sages. Même si lors du dernier baiser, passionné, brûlant et langoureux qu'on a échangé, j'ai failli le retenir, voire même aller toquer à sa porte après être rentrée à mon tour. Mais je ne l'avais pas fait.

Pendant les quelques jours qui ont suivi, nos regards sur l'un et l'autre a clairement changé. Et tous deux on essayait de se prétexter que les choses devaient rester comme ça. On avait réussi jusque là à se regarder comme des amis proches et des collègues. Alors pourquoi pas continuer? Plusieurs fois j'avais vu le regard moqueur de Frank ou de Michael quand ils voyaient que Gabi et moi on était dans la même pièce, Bon... Ca se voyait un peu que quelque chose avait changé. Qu'il y avait une flamme qu'il n'y avait pas avant.

Une petite mission de surveillance, routine. Mais avec Gabi, ça promet. Là on va vraiment être tout seuls, juste lui et moi. Alors que je sors de la propriété, KITT est juste devant l'entrée et m'apprend que Gabi est devant le garage. J'étouffe un petit rire. Il doit être TRES perturbé. Il devrait le savoir. Depuis le temps. A grande vitesse je me place sur le toit du garage et je fais.

- Salut Gab'! KITT est devant l'entrée du manoir. Comme d'hab.

Déjà qu’habituellement il est très compliqué pour Gabriel d’anticiper les déplacements rapides d’Irina, quand il est perdu dans ses pensées, c’est tout simplement impossible. Il faillit donc en perdre sa cigarette lorsqu’il l’entendit lui parler du haut du toit du garage. Il se racla la gorge et leva le regard vers elle.

-Hm… Oui, je sais. Mentit-il.

Ça commençait bien... Il évita de s’enfoncer davantage et écrasa sa cigarette dans son cendrier de poche. Il tourna les talons pour traverser l’allée vers l’entrée du manoir. Il savait que peu importe la distance qu’il y avait entre Irina et lui, elle l'entendait.

-Descend donc avant de te rompre le cou, plaisanta t-il. Quoi de neuf?

Après tout, ils avaient très peu parlé depuis la soirée au Lux, et certainement pas de ce qu’il s’était passé ce soir-là. Peut-être ne vaudrait-il mieux pas en reparler du tout d’ailleurs. Voici l’état d’esprit actuel de Gabriel.
Mais ce qu’il désire par-dessus tout c’est que ça n’altère pas leur relation. Ils ont passé du temps ensemble, que ce soit en mission ou même hors du boulot, à se confier, à s’amuser. Une vraie alchimie était née, et c’était précieux pour le technopathe. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’il avait préféré rester raisonnable l’autre fois. Car coucher avec Irina impliquerait forcément un changement dans leur relation … Franchir le cap de l’intimité ouvre la voie à d’autres rapports, surtout lorsqu’on est si proches que les deux coéquipiers le sont. En général, soit l’expérience est appréciée et répétée, alors viennent des rapports beaucoup plus intimes, que ce soit sur le plan physique que sentimental. Soit l’expérience est décevante et tout se brise. La réflexion de l’agent est peut être un peu radicale mais il ne voit pas d’autres issues.

-Bon, ça devrait être plutôt tranquille aujourd’hui … fit-il alors qu’ils arrivaient au niveau de KITT.

Il était grognon depuis la soirée au Lux, et je n'aimais pas le voir ainsi. Faire la gueule. Il était fermé aux discussions à ce sujet, ça se voyait juste à sa tête. Il ne voulait plus en entendre parler ni y penser. Comme si ça allait effacer ce qu'il s'était passé... Ou juste comme si cela ne s'était jamais produit. Ses lèvres, ses mains sur mes bras. Moi je ne peux pas faire comme si de rien était. Je suis une vampire, et une vampire, à ce niveau-là, c'est hyper réceptif et hypersensible. Surtout que depuis Leander, peu d'hommes avaient pu me toucher de la sorte.

Il avait menti ouvertement comme à chaque fois que je le prenais sur le fait de quelque chose. Je souris, toujours sur mon toit à le regarder marmonner et se diriger vers l'entrée de la propriété.

Quand il me demanda de descendre, il ne devait pas s'attendre à ce qu'il allait arriver. Je commençais à esquisser ce qui lui faisant tant peur. Le surlendemain de la soirée, j'étais émotionnellement confuse et cela n'avait pas échappé à Jason, qui m'avait pris entre quatre yeux dans le chalet et qui m'avait dit brute de pomme "toi tu es amoureuse..." PAN! J'étais devenue écarlate, car contre lui, cacher ce que je ressentais et mon trouble, ce n'était pas même pas la peine d'y penser! Alors on en avait discuté, et il avait simplement relevé que si Gabriel m'évitait, c'était qu'il avait le même trouble mais qu'en plus il avait peur de me perdre. Fallait qu'il sache qu'il ne me perdrait jamais, d'aucune manière, et ce quoiqu'il arrivait. J'avais tenté e lui tendre des perches, mais renfermé comme il l'était depuis le bal, c'était compliquée d'ouvrir l'armure. Mais cette fois je n'allais pas le louper.

Ayant fait le coup plusieurs fois à Clark ou à Mick, je n'avais pas peur de me louper et de nous faire tomber. Je crois même l'avoir fait plusieurs fois à Gabi. Je fis un premier saut derrière lui puis un second qui me propulsa délicatement sur son dos, m'accrochant aux épaules, réunissant mes mains sur le haut de son torse. Dans un murmure à son oreille j'ai dit.

- Tu ne me perdras jamais Gabriel Vaughn, quoiqu'il puisse arriver, Quoiqu'il se passe, même si le monde s'effondre, je serai toujours là, à tes côtés.. Rien ne changera ça! Rien ni personne!

Je me suis alors décrochée, allant comme si de rien était à la voiture. Mais comme je me retourne en ouvrant la portière, je lui fais un clin d'oeil avec un sourire malicieux avant de rentrer dans la voiture côté conducteur.

Gabriel Vaughn avait cruellement déchanté lors de cette fameuse soirée au Lux, tout était bien parti, même mieux que tout ce qu’il aurait pu espérer. Car jamais il n’avait espéré pouvoir un jour être aussi proche d’Irina Miles. Fantasmé, oui. Mais ça restait tout de même impensable, jusqu’à ce que l’immortelle vienne poser ses lèvres sur les siennes. Il avait donc commencé à y croire, à imaginer, à espérer … jusqu’à ce que Kal El décide de refaire son apparition. Et le Lux aurait pu s’écrouler qu’elle l’aurait quand même rejoint.

Bien qu’étant un homme mature et pragmatique, Gabriel ne pouvait s’empêcher de regretter. Regretter que le kryptonien ait choisi d’apparaître à cette soirée, à ne pas l’avoir gardé pour lui tout seul. Mais il n’était visiblement pas de taille face à ce sur-homme. Il ne pouvait pas rivaliser. Entre eux deux c’était … incomparable. Il le savait. Il en avait conscience. Mais avait du mal à l’accepter.

Une nouvelle fois, Irina tira le technopathe de ses songes qui sursauta. Instinctivement, il glissa ses mains autour de ses cuisses pour la maintenir dans son dos. Il souhaiterait presque qu’il ne se soit rien passé l’autre soir pour que tout soit comme avant. Mais les mots que la vampire lui glissa à l’oreille résonnèrent fort en lui, si fort qu’il ne sut pas quoi répondre sur l’instant.

Il s’installa côté passager en silence. Ce n’est que lorsque la voiture démarra qu’il lâcha sur le ton de l’humour, histoire de maquiller sa jalousie.

-Si ton extra terrestre t’embarque, je ne suis pas sûr d’avoir envie de vous suivre. J’ai toujours eu le mal de l’air tu sais …

Ce n’était pas une nouveauté que les deux hommes ne s’apprécient pas. Et cette rivalité amoureuse n’arrangera en rien les choses …

Il était amer, il aurait sûrement préféré que Kal ne vienne pas. Jusqu’à ce fameux soir, je pensais que Clark ne me regarderait jamais avec les yeux de l’amour, comme il regardait Lois ou Lana… Et j’avais très largement eu tort, mais ça c’était notre secret à tous les deux. Notre amour, notre relation, notre passion qui avait explosé après la soirée au petit matin.

Quoiqu’il en soit j’étais toujours sur le dos du cyberpathe après l’avoir rassuré sur notre lien, quoiqu’il arrive il resterait intact, et je ferai tout pour qu’il reste en vie, ça je me le jurais intérieurement, car je ne voulais plus perdre personne, ou ne plus à avoir engendrer personne depuis Jason qui était un vampire, presque par accident. Presque parce que lui aussi je voulais le préserver de la Mort, ne pas le perdre, mais je n’aurai jamais pensé que cela l’engendrerait…

Gabi garda le silence, il n’avait jamais été très enclin à se déclarer sur ce qu’il ressentait. Il avait toujours été fier comme un paon et réservé, et même à moi fallait que je creuse pour qu’il ouvre un peu sa carapace. Enfin qu’on a été trahi par sa femme deux fois et crue morte, il y avait de quoi s’être forgée une armure en titane.

Quand il lâcha sa blague, un silence de plomb régna dans la voiture, même KITT ne pipa pas un mot.

- Tu nous suivras en voiture, au moins tu n’auras pas le vertige sur le plancher des vaches…

Même si en avion, il n’était pas trop difficile et suivait le vol d’un œil en piratant avec sa puce les systèmes de bord, dans les bras de quelqu’un les ailes ouvertes, je comprends que cela ne faisait pas le même effet.

Les kilomètres défilent et le silence règne sur le véhicule, je finis par nous arrêter dans un petit coin de nature histoire de fumer une clope et de projeter les objectifs de la mission sur le capot.

Gabriel était de mauvais poil, ça tout le monde l’avait remarqué. Même ses blagues, habituellement douteuses, étaient pitoyables.
A mesure que le silence s'installait dans l’habitacle de KITT, l’agent commençait à s’en vouloir. Mais c’était plus fort que lui, il avait du mal à digérer et à mettre sa jalousie de côté. Dans le silence, les minutes paraissaient interminables.
Lorsqu’Irina arrêta le véhicule, Gabriel alluma une cigarette aussitôt après avoir entrouvert la fenêtre. Il laissa planer le silence encore un instant avant de se retourner vers sa coéquipière.

-Ecoute… j’suis désolé. C’est juste que …

Gabriel chercha ses mots. Autant être cash, mais ça sous-entendait se mettre à nu et révéler un peu plus de ses sentiments.

-J’ai juste du mal à digérer. La soirée au Lux. J’y ai tellement cru … mais il a fallu qu’il débarque. Il la devança avant qu’elle ne puisse répondre quoi que ce soit et enchaîna. Je sais ce qu’il représente pour toi, c’est pas le problème.

Le technopathe soupira. Il n’aimait pas se sentir comme ça. Il avait l’impression d’être faible et incapable de raisonner. Mais dans cet habitacle, il était pris au piège, de quoi se sentir claustrophobe, face à Irina et ses sentiments. Et c’était hors de question de fuir maintenant.

-J’ai adoré que tu me regardes de cette manière, que tu m’embrasses. J’y ai vraiment cru, pour une fois. Alors encore une fois, j’suis désolé. C’est peut être une réaction de mec frustré mais j’arrive pas à mieux pour l’instant.

La mine un peu plus renfrognée, il se détourna une nouvelle fois, prétextant recracher la fumée de sa cigarette par l'entrebâillement de la fenêtre et finit par lâcher un petit rire coupable.

-Ca m’obsède, c’est dingue … Un truc de vampire ça encore, non?

C’était clair et net, Gabriel n’avait absolument pas la tête à leur mission actuellement.