Victor Hugo disait que "la ville finit par être une personne". A force de vivre dans cet amas de bétons et de métal aux mille et une couleur et aux bruits incessant, on finit petit à petit par se rendre compte de la véracité des mots de l’écrivain. « Une personne », oui la ville en était une. Evidemment, elle était composée de la vie de milliers de personnes ayant tous une individualité qui les caractérisait mais on pouvait aisément remarquer que la ville prenait corps grâce à ces gens, qu’elle changeait d’humeur et de visage au gré du temps et des évènements. Aujourd’hui, j’empruntait les rues de la Los Angeles endormie et rêveuse.  

L’Hiver fraîchement installé c’était couvert d’un manteau venteux et glacial. Les rues étaient extraordinairement calmes en dehors des grands axes. Le son des voitures au loin me parvenait quelque peu déformé par la distance et le bruissement du vent dans mes oreilles, comme ces personnes qui vous parle quand vous êtes encore endormit. Les odeurs des différents restaurant me faisaient voyageait aux quatre coins du monde, je ferme doucement les yeux et respirent intensément : le curry de l’Inde, je pouvais déjà entendre le klaxon des voitures dans les rue de New Deli, la musique et les chants d’un mariage au loin ainsi que cet étale d’une fin homme à la peau tanné qui préparé ces délices épicés ; le citron caramélisé mélangé aux effluves de porc laqué si caractéristique de la cuisson dit « Char Siu » m’emmenait dans un petit bouiboui de Shangaï où une vieille dame chinoise découpé avec une force impressionnante l’échine préparée à la cantonaise, et bien d’autres odeurs qui n’appartenaient qu’à eux. Cette femme, puisque tel était ce que j’avais décidé pour désigner cette ville, avait sa propre odeur, parfois doux et attirant comme celles que je venais de sentir, d’autres bien moins glamour comme pouvait l’être une petite ruelle sombre ou une bouche de métro aux heures les moins propices de la journée et de la nuit. Elle avait aussi son propre charme, elle était parfois calme comme en ce moment, parfois elle s’avérait mouvementé presque hyperactive comme si elle se devait d’avancer, ne prenant pas la peine de profiter de la vie et de s’ancrer doucement dans son époque. Los Angeles était pour beaucoup une ville où tout devait aller vite, l’innovation, la condition sociale, les lois, l’amour, etc. Elle me faisait pensait à ces femmes mûres que la vie avait permis de les rendre de nouveau « libre », par choix ou par obligation, elles se trouvait à devoir tout le temps trouver une occupation et bougée comme si rester sur place allait leur rappeler leur âge alors qu’être active était signe de jeunesse. Une vieille dame qui court après la jeunesse… cela résumait assez bien Los Angeles.

Qu’importe ce que pouvait en dire les ignares et les mauvaises langues, Los Angeles étaient une très belle femme pleine de mystères et de belles surprises même si elle pouvait s’avouer être dangereuse si on n’y prenait pas gare… mais quelle femme ne l’était pas aussi ? C’est ce qui fait leur charme si particulier et pourquoi nous les aimons aussi fort. Toutefois, au-delà de tous ses atouts, ce n’était pas là la femme que je recherchais ce soir. L’être que je recherchais était une personne et non une ville même si à travers elle c’est tout un monde qui me fut permis de connaître. Irina n’était pas bien difficile à pister, du moins pour ce vieux profiler que j’étais. Il y avait beaucoup d’indice qui m’avait mené jusqu’à cette patinoire qui s’offrait maintenant à ma vue, des indices que je suis sûr avoir obtenu car elle-même ne voyait pas de raison de me le cacher. Car pour cacher des choses, la jeune femme en apparence en connaissait un rayon, voire même toute une bibliothèque. Non pas qu’il s’agissait de ce genre de personne atteint par une pathologie quelconque qui s’efforce de déformer la réalité ou encore ces gens pour qui la vérité n’est qu’un mot que l’on peut bafoué au même titre que la confiance.. bien au contraire, il s’agissait juste de ces femmes qui savait avoir son petit jardin secret bien loin du tumulte de la vie dans lequel elle pouvait garder pour elle ce qui faisait d’elle un être unique. Pourquoi donc partagé quelque chose qui ne regarde pas les autres ? A cette réflexion, je me rend compte du caractère saugrenue voir burlesque de ma démarche, j’avais jeté un œil dans ce petit jardin, j’y avais cueilli une rose et je m’apprêtais à la montrer à sa propriétaire comme pour lui dire « regarde ce que j’ai réussi à prendre »… Mais je me doutais bien que cette rose, Irina m’avait autorisé à la prendre sans me le dire, juste par des petits gestes, des mots, des attitudes…  J’avais donc deviné qu’elle aimait à se rendre là, et c’est là que je l’attendrais ce soir.

Je voyais bien qu’elle voulait profiter un peu de ce moment, c’est pourquoi du haut des gradins, je n’avais dit ni ne fit aucun geste, bien tapis dans un coin, pour la laisser profiter du moment. Elle patinait bien, excellement bien pour être honnête. Je la regardais tourner et tourbillonnait sur cet océan de glace telle une étoile de lumière. De tous les hobbies, je n’avais jamais pensé que celui-ci aurait pu être celui de mon amie, même si, à bien y réfléchir, cela n’était pas dénué de sens. A ne pas en douter, elle était douée par surprendre les gens. Je me lève doucement et descend les marches de ces grands escalier colorés qui marque très bien l’amour des spectateurs de hockey pour le show et de patinage pour la grâce et le faste. Je ne me cache pas, bien au contraire, je marque par mon geste mon envie d’être vu d’elle pour affirmer mon envie de partager et non de m’introduire dans ce moment d’intimité. Comme à son habitude, elle me sourit et s’approche. C’est le même sourire qui marque sa confiance envers moi de la laisser voir ses réelles émotions, si elle savait à quel point je peux l’en remercier pour cela. Dans le monde dans lequel nous vivons, tout le monde porte un masque, en société, en couple, à la télé, au travail, entre amis, devant ses enfants, etc. Il est tellement rare qu’une personne s’ouvre sans restriction à son ami sans s’accommoder d’être à cent pour cent comme il l’attendrait d’elle qu’elle le soit. Bien entendu, elle peut me cacher des choses, s’enveloppant elle aussi d’un masque similaire aux autres, mais je sais que jamais ces masques ne sont là pour cacher le mal et le vice.

- Savais-tu que l’on peut remonter les origines du patinage aux XIIIe siècle, à l’époque les Néerlandais, si l’on peut les appeler comme çà puisque leur nation n’était pas encore structurée comme aujourd’hui, s’amuser à patinait sur les canaux gelés et grâce à cela, le courrier et la communication pouvaient continuer sans interruption même en plein hiver ?

Je la regardais le regard analysant la situation, la dernière fois que j’en avais fait, j’avais failli me rompre le cou. En effet, bien que je n’aie jamais eu de problème avec les sports de glisse comme le ski ou le snowboard, le patinage avait toujours été une exception dangereuse. Je souris à Irina :

- Quelques fois avec mon fils mais je crois que la glace et moi avons une relation d’amour-haine des plus toxiques.

Je pouvais voir la manière dont Irina regardait la glace, le même regard que lorsqu’on observe un vieil ami. Son corps ne marquait pas la moindre gêne pour ce froid humide ambiant au-dessus et autour de la patinoire, comme s’il y avait toujours été habitué. J’avais été des plus surpris d’apprendre lors de ma « résurrection » que nous autres vampires sentions encore le souffle du vent sur notre peau, le picotement du froid et la douce excitation de notre épiderme au contact de la chaleur. J’avais vu tellement de film traitant les créatures de la nuit comme de simple mort ne ressentant ni chaleur ni froid, n’était jamais préoccupé par la faim, la soif ou le désire. Comme une coquille vide, ils déambulaient dans nos écrans à la recherche d’une raison de vivre, de trouver quelque chose d’équivalent à la peine, l’excitation ou encore la douleur pour se sentir vivant, appartenant à ce monde qu’ils avaient autrefois fréquenter en pensant n’être qu’unique… Bien que cela fut surprenant d'entendre cela et de le constater, je fus reconnaissant que les choses aient été faites comme cela, la transition entre humain et vampire n'en était que plus adouci. Parfois même je me laissais prendre au jeu. Parfois frissonnant, je me disais qu'il serait bon ton de prendre une petite laine avant de tomber malade. Puis, je me souvenais ...

L’intention d’Irina était tout à fait louable même si je craignais que cela ne se finisse mal pour moi. Malheureusement pour moi, Irina avait ce « je ne sais quoi » qui amenait bien souvent les gens à suivre ses envies même s’ils ne partageaient pas ses idées. Cette capacité basée uniquement sur la force de persuasion et le charisme était une bénédiction pour ce genre de personne mais pouvait être une arme des plus dangereuse entre les mains de personnes qui étaient conscient de cette faculté. J’avais connu, lors d’une affaire vieille de 25 ans, une jeune femme pas forcément belle mais emprunt d’un charme et d’un charisme sans pareil. J’enquêtais alors sur une affaire de disparition multiples aux abords de d’une petite ville … ou plutôt un gros village tout au plus… L’enquête était fastidieuse et les habitants ne s’étaient pas montrés des plus coopératifs mais rien d’étonnant en soit lorsque l’on sait qu’en réalité, ils étaient tous coupables. Cette charmante et « innocente » Trudy Marsh était en réalité à la tête d’une sorte de secte qu’elle avait mis en place au sein de cette communauté et tout les membres du village en étaient ses partisans. Les enlèvements étaient ordonnés par Trudy et orchestrés par les habitants eux-mêmes. Malheureusement, les hommes étaient réduits en esclavage, obligé de trimer et suer contre leur volonté dans la mine de charbon alors que les femmes servaient de « reproductrice » et de servante/concubines personnelles de cette gourou. Comme quoi, «   cela n'est pas étonnant, puisque Satan lui-même se déguise en ange de lumière » (Corinthiens, 11 : 15).

Suivant les indications de mon amie, je m’efforçais de chercher des paires de patins à ma taille, priant le Très Haut qu’il n’y ait que des petites tailles mais la nature était ainsi faite que faire des patins plus petits que la taille de mes chaussures n’était pas difficiles. Je n’avais pas des petits pieds mais ils n’étaient pas grand non plus et je trouvais ici et là largement de quoi m’équipait. Quelle joie de mettre des patins utilisés par autrui… Je ruinais l’écosystème de la moitié du pays avec la bombe antiodeur/désinfectantes que j’avais chipé dans un casier proche de là et m’approchais du bord de la zone de danger. Des questions absurdes me passaient déjà par la tête : Un vampire pouvait-il mourir de s’être brisé la nuque sur la glace ? Drôle de question, non ? Irina, elle, était reparti patinant, tournant, glissant, comme si la gravité n’était qu’une bagatelle.

- Alors professeur, prêt pour votre première leçon ? me fit-elle en me tendant la main.
- Ainsi soit-il, fut ma seule réponse en franchissant le seuil de la patinoire.

Mes pas étaient hasardeux, apparemment être un vampire ne vous octroie pas le pouvoir de patiner, bien au contraire, je ressentais ma fébrilité plus fort encore. Il va me falloir du temps pour m’habituer à cette sensation.

L’aisance qui était nécessaire pour pouvoir se mouvoir sur la glace m’avait toujours paru inaccessible, presque comme si cela m’était génétiquement refusé, toutefois, je pouvais remarquer, non sans une certaine surprise, que cet essai n’était pas la catastrophe escomptée. Peut-être était-ce dû aux facultés surhumaines des vampires, nous aidant à progresser bien plus rapidement sur les terrains difficiles tels les prédateurs que nous étions censé être, peut-être était-ce juste le temps qui était passé et qui m’avait instruit un sens de l’équilibre plus aigu de part mes expériences passés (il est vrai que se retrouver à combattre un tueur en série dans un métro peut aider à vous apprendre l’équilibre), ou simplement était-ce le maintien solide, ferme mais rassurant de mon amie. Irina me tenait en me répétant de ne pas regarder mes pieds, conseille qui m’avait semblait absurde sur le moment : comment peut-on s’empêcher de tomber si nous ne sommes pas dans la possibilité de regarder où est-ce que l’on met nos pieds et surtout comment ?

Mais rapidement, alors que je plongeais mon regard dans le sien pour m’empêcher de regarder en dessous de moi, je compris le pourquoi du comment de sa consigne. Il fallait patiner non pas en réfléchissant mais en ressentant. En effet, ne pas regarder la glace me permettait de mien ressentir l’adhérence du patin sur la glace, la position de ma propre cheville et de sentir quand est-ce qu’il fallait que j’ouvre ou referme l’angle de celle-ci.

Je sentais que cette fois ci serait différente des autres, cette fois ci j’y arriverais. Je demandais à Irina de me lâcher, j’étais prêt. Après avoir échanger un dernier regard me questionnant sur le fait que j’étais sûr de bien le vouloir, la prise d’Irina se fit plus douce jusqu’à complétement disparaître. Je tremblais un peu par l’instabilité de ma position mais j’avançais, doucement mais sûrement. Je patinais ! Je me pris même à sourire jusqu’aux oreilles et de lâcher un petit rire tel un enfant qui arrive à faire du vélo. Je fis deux ou trois mouvements de plus sentant que je prenais de plus en plus d’assurance. Enfin, je me retournais vers Irina et lui leva mon pouce en signe de confiance :

- Tu vois ça, j’y arrive parfait…

Apparemment, tourner et discuter n’était pas encore dans le « pack découverte » qui m’avait été donné ce jour-là, puisque mon pied droit parti violement trop loin, j’essaya de me maintenir avec mon pied gauche mais la gravité m’entraîna en arrière et mon coccyx frappa violemment le sol glacé.