Insomnia

**** Quelque part au moyen orient, il y a plusieurs semaines ****

Perchée au sommet de la colline, j’observe la ferme en contrebas. On dirait bien que les vampires que je traque ont pris possession des lieux. Indifférente du sort des habitant, je me doute que le nombre de mes ennemis a dû considérablement augmenter, ce qui me tire un rictus. Après tout, plus on est de fous, plus on rit.
Dans une démarche spectrale, je descends le petit chemin qui m’amène tout droit devant le portail d’entrée, que je franchis sans hésitation aucune. Je m’avance inexorablement dans la cour, en chantonnant une vieille comptine. Et j’observe les lieux que la lune éclaire.
Une inscription a été gravée sur le lourd portail de la grange, un symbole que je reconnais. Celui du studio 64, le nom que prend, pour cette ère, l’organisation de vampires que je traque depuis si longtemps, qui fait pas mal parler d’elle ces derniers temps, et qui n’aurait pas dû attirer mon attention.
Je sors une arbalète légère de mon sac, et m’avance en direction de la porte, à laquelle je frappe résolument. Une voix caverneuse demande qui est-ce, et, à cette question, je réponds que je suis le chasseur en quête du grand méchant loup. Je me doute que cette réponse va les agacer, et que la rixe va devenir inéluctable, cette pensée me fait une bonne sensation, et je ne peux m’empêcher de passer ma langue sur les lèvres. Puis, prenant ma forme de brume, je me glisse par un interstice, afin d’observer les lieux. Je ressens la présence de sept vampires.
Je réapparais proche de l’un, en tenue de fermier, certainement l’ancien propriétaire des lieux, et l’ajuste d’un carreau en plein cœur, puis, avant même que quiconque ait réagi, j’aligne une engeance à l’apparence féminine, ainsi que les restes d’un enfant. Me dire qu’ils ont osé transformer un gosse, me rappelle des souvenirs, et me ravive ma rage. Je ressens encore les présences des autres créatures, et je souris. J’aime ces moments de pure violence, ces moments où j’extermine des vampires en pensant à celui que je hais par-dessus tout.
Je m’approche d’un quatrième le saisis par l’épaule, et lui plante un pieu dans le cœur, de dos, sans lui laisser le temps de se retourner, sans lui laisser la moindre chance. C’était le dernier de la famille qui occupait les lieux, le plus simple est fait. Désormais, il me reste encore les vampires expérimentés, le maitre et sa garde. En effet, je remarque que, un peu plus loin, se trouve une sorte de remise, devant laquelle une abomination armée se trouve. Je m’approche, sans me laisser voir, et je me concentre longuement sur une fourche qui a été entreposée contre le mur opposé. Et, à l’aide d’une décharge psychique, je parviens à faire tomber l’ustensile. Le bruit fait sursauter la créature qui se retourne dans la direction, et me laisse l’opportunité de lui tirer un carreau dans le dos. Je le regarde tomber en poussière avec délectation. J’entre dans la pièce, et remarque que les deux vampires restants sont en pleine discussion et ne m’ont pas remarquée. Celui qui semble commander, certainement le maitre et géniteur des autres, tient une lettre à la main, document qui m’interpelle au plus haut point.
J’abats dans état d’âme le subalterne, et m’avance vers le maitre, qui me demande qui je suis.
C : Je suis la mort, venue pour vous, la faucheuse a décidé que vous deviez cesser d’exister, et ainsi, portée par les ténèbres, me voici.
L’être se précipite sur moi, toute griffe dehors, mais c’est peine perdue, j’ai déjà pris ma forme de brume, et me suis dématérialisée. Je profite de son élan pour réapparaitre dans son dos, et le pousser avec violence contre le mur. Je lui saisis le bras et le brise sans effort.
Le vampire m’informe que son ordre n’hésitera pas à me pourchasser, ce qui me fait sourire, une fois de plus.
C : C’est gentil de leur part, ça m’évitera de faire l’effort de les chercher moi-même. Et c’est gentil de te soucier de ma santé, c’est tellement touchant !
Je lui plante un pieu avec tellement de violence que l’ustensile reste figé dans le mur, et, avant même que les cendres n’aient eu le temps de toucher le sol, je me suis retournée et j’ai ramassé la lettre. Je la décachette, et parcours les lignes avec intérêt.
Décidément, cette affaire ne manque pas de rebondissements ! Et les prochaines péripéties devraient m’amener à Los Angeles. Il est temps d’aller à la cité des anges, couper quelques ailes.

**** Vol 884 pour L.A.  hier****
Je me suis glissée en toute discrétion dans les soutes de l’appareil, et j’attends le décollage. Mais, je m’ennuie vite, aussi, je me glisse, grâce à la forme de brume, dans les toilettes de l’appareil, où j’élimine et me nourris d’une dame qui se trouvait là, avant d’aller prendre sa place en première. Décidément, les humains ont bien évolué au fil des décennies, pour atteindre un niveau de confort pareil.
Après quelques heures, l’appareil se pose sur le tarmac, et je descends rapidement. J’ai dû laisser quelques cadavres derrière moi, et je pense qu’aussitôt trouvés, les lieux risquent de grouiller de policiers, et de chasseurs. Et je n’ai pas envie de devoir commettre un massacre inutile.
Je passe le portique, amusée. Pourquoi détecter les métaux, quand les armes les plus efficaces sont les crocs, les griffes et le bois ? Je fixe la caméra, en sachant que les créatures de mon espèce ne se reflètent pas, et que je n’apparaitrai, de toute manière, pas dessus. Être un monstre n’a pas que des désavantages.
Je finis par appeler un taxi, et lui donne une adresse, celle de mon hôtel, mais, en chemin, je me ravise, et décide d’abandonner le véhicule et la dépouille de son occupant près d’un antre de vampires, ça détournera l’attention. Et je finis mon périple à pied.

**** Los Angeles aujourd’hui ****
Tenant la lettre dans ma main, je quitte mon hôtel, et me dirige vers mon objectif, profitant de la tombée de la nuit, qui promet d’être longue et instructive. Quelques rues plus loin, un individu armé d’un petit couteau me menace en me réclamant mon sac. Je m’avance dans sa direction, et, promptement, lui saisis la tête et la retourne violemment, lui brisant la nuque, et le tuant net. Et, sans me retourner, je continue mon chemin.
Je me mets à chantonner, et traverse encore plusieurs rues pour arriver en vue de mon objectif, le musée d’histoire de la ville. Je m’approche de l’entrée, amusée, décidément, cette ville ne dort jamais, et les sites comme celui-ci restent toujours ouverts.
Je passe la porte, et observe les personnes présentes, apparemment, mes amis du studio n’ont pas daigné s’en prendre à eux, sans doute ne veulent-ils pas déclencher d’alarme et attirer l’attention. Ca montre que ce qu’ils recherchent est quelque chose de capital pour eux, dommage, ce sera pour moi !
Je donne à la personne à l’accueil des papiers que j’ai subtilisés à une fille qui me ressemblait, il y a quelques temps, et j’entre dans le musée. Je commence à observer les expositions, sans trop me presser, afin de ne pas attirer l’attention.

Je suis en train de zoner dans le musée, entre les tableaux, lorsque l’un d’entre eux retient mon attention. Je m’en approche, et le détaille du regard. Apparemment, il s’agit d’une peinture datée d’il y a quelques siècles, œuvre d’un certain Lucius Pulsifer. Encore une famille de chasseurs et d’exorcistes, décidément.

J’observe la toile avec attention, au premier rang, on distingue le roi Arthur, sa table ronde, et ses chevaliers, un classique, toujours avec Lancelot dépeint avec un regard fourbe, la légende Arthurienne dans tout son classicisme. Mais, ce que je remarque, de mon côté, c’est le sens caché du tableau. Au second plan, il est possible de remarquer un arbre, et, dans un habile trompe l’œil, l’ombre au pied du tableau pourrait être interprétée comme un individu menaçant, un homme sombre qui regarderait du côté du roi. Je me demande bien qui a pu remarquer cette subtilité.

Je m’approche du tableau, et tends la main dans sa direction, consciente que, de toute manière, les caméras ne me détecteront pas, lorsque je ressens la présence de quelqu’un qui s’approche, et s’adresse à moi.

Je suis assez étonnée, habituellement, surtout dans ces grandes cités, les gens n’ont que faire de leur prochain, et ne daignent pas leur adresser la parole, sans bonne raison. Je tourne la tête, lentement, dans sa direction. En quoi est-ce que ça peut l’intéresser, ce que je fais ici ? Serait-ce l’un des hommes du studio ? Je ne ressens rien de vampirique en lui, quelque chose d’autre, une menace à laquelle je n’ai pas l’habitude de faire face. Je reste persuadée que l’être qui me fait face n’est, en aucun cas, un simple humain.

Je prends une inspiration, et réponds d’une voix un peu blasée. Tout en continuant à analyser cet être. Je n’ai pas l’intention de l’attaquer, loin de là. J’ignore quelles sont ses facultés, et si mes capacités de vampires me permettraient de l’éliminer facilement, et surtout, sans donner l’alarme. Ceux qui m’intéressent se trouvent ailleurs en ces bâtiments.

C : Que faisons-nous là ? Quel est notre but sur cette terre ? Oui, en ce moment, je regarde les pathétiques tentatives de certains de laisser une trace de leur passage sur ces terres, persuadés, dans leur grande vanité que leur petite existence a eue de l’importance. Ce tableau, certes très beau, a été peint par un homme dont plus personne ne se souvient du visage. Et même, si ses enfants ne l’ont pas oublié, ses petits enfants ont commencé, et, au fil des générations, son existence est devenue négligeable. Aussi vite disparu qu’un éclair dans la nuit !

Et moi, à combien de temps suis-je condamnée, à faucher ces existences négligeables pour me nourrir, pour le sport aussi ?
Je jette une œillade en direction de la porte de service, là où, selon moi, ceux que je pourchasse se sont retrouvés, à la recherche de quelque chose qui les a mis en mouvement. Mon regard change, pour prendre celui du prédateur. Je me demande si cet être va tenter de se mettre sur ma route, s’il va choisir le camp des vampires, du studio, ou s’il va tracer sa route, sans interférer.

Je continue à observer la toile, perdant mon regard dans les détails. Décidément, ce Pulsifer a su capter de nombreux détails, et les retranscrire sur l’image. J’écoute cet homme d’une oreille un peu distraite.
La haine que j’ai en moi commence à bouillir, en songeant que les vampires que je traque ne sont pas loin. Mais, je la contiens pour le moment, ce n’est pas le moment de faire des bêtises. Et, mon regard se retourne vers cet individu, et j’imagine les vidéos que la sécurité doit avoir, avec cet homme qui discute avec moi, une créature vampirique, qui ne se reflète pas dans les miroirs, ni dans les images des caméras. Il doit certainement passer pour un fou en plein soliloque, ou un alcoolique en train de délirer. Ca m’arrange, dans tous les cas, s’il devait témoigner d’avoir vu quelque chose, sa parole serait difficilement crédible. Hormis vis-à-vis de chasseurs de créatures surnaturelles.
De toute façon, pour tout le monde, je suis morte et oubliée, depuis des décennies. Je reprends un air assez mystérieux.

C : Tout le monde meurt, et tombe dans l’oubli, quels que furent les efforts faits pour laisser une trace de son passage, c’est un fait, une justice qui met tous les mortels sur un pied d’égalité. Peut-être même, la seule justice en ce monde. Mais, parfois, certains se retrouvent enfermés dans cette existence, rejetés par les cieux, honnis par les enfers, condamnés à errer en ce monde, juste mus par la haine de ceux qui les ont maudits, et le désir de vengeance. Que vous veux-je ? Rien du tout, vous êtes celui qui est venu me parler.

Je me demande bien pourquoi d’ailleurs, est ce que j’aurais fait quelque chose susceptible d’attirer l’attention ? Mais ça n’a aucune espèce d’importance. Rien n’a d’importance, hormis mes objectifs personnels. Tuer Armand, Tuer Irina, tuer Lestat, retrouver Louis, et, selon nos retrouvailles, mettre fin à l’existence de chaque vampire en ce monde !
Mais, pour ça, j’aurai certainement besoin de la Réponse !

C : A moins que vous ne connaissiez un vampire nommé Armand, il a une dette envers moi.

Une dette de sang, qui ne sera payée que lorsque sa dernière cendre aura touché le sol !

M’aider à retrouver Armand, celui qui est le marchepied vers mes retrouvailles d’avec Louis, sa proposition est alléchante, après tout, s’il réussit, ça m’arrange, et s’il y reste, quelle importance ? La seule chose importante, c’est qu’on ne puisse jamais faire le lien, qu’il demeure impossible de savoir que je suis de retour dans ce monde, parmi les vivants, avec un corps différent, certes.
Aussi, comme à chaque rencontre depuis ma résurrection, je garde la résolution de ne donner aucune indication sur mon identité.

C : Armand, c’est un rusé, un très vieux, et puissant, vampire qui ne prend pas de risque, qui laisse ses sbires faire le sale travail, et ne se salit pas les mains.

Comme cette nuit-là, quand il s’est terré, laissant les vampires de son théâtre m’exécuter.

C : Il ne laisse pas d’objet, de preuve, ou quoi que ce soit qui permette de remonter jusqu’à lui. La seule solution, reste de traquer les vampires qu’il a engendrés, les massacrer, détruire leurs nids comme on pratique l’ablation d’une tumeur. Après tout, ces créatures ne sont rien d’autre, un cancer qui ravage ce monde. Tous sont maléfiques, et aucun n’est digne de confiance.

La créature me démontre son côté lycanthrope, je me demande bien s’il cherche à m’impressionner, ce qui n’est pas le cas. Je suis curieuse, et me demande ce qu’il adviendrait d’un affrontement entre nous deux, mais, il n’y a pas lieu de se défier. Je continue à contempler le tableau, mon regard fixant l’ombre menaçante, puis, je souris, d'un rictus carnassier.

C : Sur ces paroles, je vais aller m’occuper d’un groupe de vampires qui hante et maudit ces lieux. J’ignore quels sont leurs motivations, mais, je me doute qu’ils ne sont pas hasard.

Et moi non plus.

Je sors ma mini arbalète, et la charge, avant de prendre la direction de la porte de service qui donne sur les sous-sols de la  réserve.